La vie après la mort selon l'islam

Yahya Pallavicini

30-05-2013

La vie après la mort dans la tradition islamique

« À Dieu nous appartenons et c’est vers Lui que ce fera le retour »1

Ce verset tiré du Saint Coran, Parole de Dieu fait Livre pour les musulmans, est celui qui est le plus communément rappelé à l’occasion de la disparition d’une personne chère. Nous appartenons à Dieu, et à Dieu seulement. Pendant un instant, la disparition d’une personne représente le rappel de la disparition de ses spécificités, un rappel à la relativité de son corps, de son caractère, de ses œuvres, de son histoire, même de sa religion.

Toutes les créatures, croyantes ou non croyantes, pratiquantes ou non pratiquantes, appartiennent au Créateur, appartiennent à l’Unique Créateur des cieux et de la terre, de tout ce qui est visible et invisible, dont le nom islamique est Allâh.

Au moment de sa disparition, la relativité d’une créature et de son parcours historique, ses actes et ses pensées sont réabsorbés dans l’Absoluité du Créateur. La relativité de la créature est en fait liée à la relativité du temps, lui-même déterminé par le Créateur qu’Il nous a mis à disposition dans ce bas monde. Par rapport au monde de l’Au-delà, ce bas monde est limité, contraint à finir inévitablement à la fin d’un cycle bien précis de manifestation.

La nature de toute créature est relative par rapport à la nature absolue du Créateur. L’espace de la terre est limité par rapport à l’Infini du Monde Supérieur. Le temps de l’existence humaine et du cycle de ce bas monde sont déterminés par rapport à l’Éternité du Monde Supérieur. « À Dieu nous appartenons et c’est vers Lui que ce fera le retour ».

Pour chercher à mieux comprendre comment l’islam décrit la nature du rapport entre la vie et la mort ou entre ce bas monde et l’Autre, nous pouvons prendre comme exemple certains noms et attributs de Dieu : le nom de Dieu dans l’islam est Allâh, Son attribut de Créateur est al-Khaliq, son attribut de Supérieur est al-Aliyy, son attribut d’Absolu est as-Samad. Tout ce qui est relatif doit tendre vers l’Absolu, tout ce qui est inférieur doit tendre vers le Supérieur, tout ce qui est manifesté doit tendre vers le Créateur, et il n’y a rien de vraiment relatif, inférieur et manifesté qui ne soit pas près d’Allâh. Allâh est la Réalité Créatrice, Suprême et Absolue qui comprend tout chose et à Laquelle toute chose retourne « À Dieu nous appartenons et c’est vers Lui que ce fera le retour ».

L’obéissance à ce principe de foi nous ouvre aux possibilités de connaissance de certains mystères de ce même principe. « J’étais un Trésor caché, J’ai voulu être connu et J’ai créé le monde ». Dans cette tradition prophétique, Dieu donne la raison de la Création du monde. Le monde dérive de Sa Volonté d’être connu. Le monde représente donc l’instrument pour la connaissance de Dieu. La finalité du monde est de permettre la connaissance de Dieu et il n’y a qu’un seul mode pour la connaissance de Dieu : passer à travers ce monde. Il n’y a qu’un seul monde dans lequel passer : celui créé pour la connaissance de Dieu. Il n’y a qu’un seul Dieu qui puisse être connu : Celui qui a crée ce monde. Il n’y a pas d’autres mondes, il n’y a pas d’autres finalités dans la Création, il n’y a pas d’autres dieux.

Mais pour qui Dieu a-t-il crée le monde ? De qui Dieu veut-Il être connu ? Des hommes et des femmes qui outre le fait d’avoir reçu le don sacré de la vie sont dotés de l’intellect.

Toutes les autres formes présentes dans la Création représentent des signes miraculeux de la manifestation du Créateur, mais seul l’homme et la femme ont reçu en dépôt la capacité de voir et de reconnaître Dieu dans toutes les choses visibles et invisibles. Seul l’homme et la femme ont cette faculté d’évaluation symbolique, cette intuition capable de retrouver la correspondance entre la réalité de ce bas monde et les archétypes universels. Dans l’observance de cette méthodologie, de cette perspective orthodoxe, tout homme et toute femme s’ouvrent à la connaissance de Dieu et dépassent les points de vue individuels, liés au monde des apparences et des illusions.

Le mystère est représenté par le rapport entre Dieu, le monde et l’homme, et par les règles qui permettent au monde d’être l’instrument de la connaissance de Dieu, et à l’homme d’être le sujet de la connaissance de Dieu. En fait, Dieu décida d’être connu et créa le monde. Le monde est donc le moyen et Dieu, le but de la connaissance. Qui est le sujet ? Les créatures. Mais comment les créatures peuvent-elles connaître le Créateur du monde ? La réponse nous est fourni par cette autre tradition prophétique : « Qui se connaît soi-même, connaît son Seigneur ».

Pour connaître Dieu, nous avons besoin de nous connaître nous-même dans ce monde. Le rapport de l’homme avec le monde est donc fonction de la connaissance de soi, dans la mesure où nous nous ouvrons à la reconnaissance des signes de Dieu dans le monde, en nous-mêmes, et par conséquent, à la connaissance du Seigneur des mondes. L’homme a donc le devoir d’agir pour chercher la connaissance dans tous les degrés de l’Existence et dans tous les aspects de sa personne. S’il arrive à répondre à cette action en maintenant la perspective d’une intention tournée vers la connaissance de Dieu, alors le monde et l’humanité ne peuvent le distraire, mais au contraire, constitueront un soutien efficace dans la poursuite de la finalité naturelle pour laquelle l’homme a été créé : la permanence dans la contemplation divine, la réalisation de la volonté de Dieu qui veut être connu.

Le monde est donc au service de l’homme et l’homme est au service de la connaissance de Dieu. L’intellect est la lumière qui permet à l’homme d’avoir l’illumination, de voir non seulement la manifestation de Dieu, mais également Sa dynamique sacrée, et d’être élevé au goût de Son Esprit. C’est la raison de vivre de l’homme dans le monde.

Et la mort ? Et l’Autre monde ? Quel rapport ont-ils avec cette partie de la doctrine islamique et quelle signification assument-ils ? Le Prophète a dit : « Les hommes sont endormis ; quand survient la mort, ils se réveillent. »

La mort représente un moment de passage, la fin d’un cycle et l’ouverture d’un autre, l’abandon de ce monde avec sa gravité, ses limites, ses apparences, sa relativité et le retour au Principe, le retour à l’Origine spirituelle, éternelle, immuable, absolue. La mort est la fin spatiotemporelle de la gestion du monde, de la responsabilité extérieure, elle est le début de la vérification, le temps de rendre des comptes, de l’évaluation de la part de la justice divine, de la mesure de la connaissance du Seigneur de la part de Son serviteur.

Selon les descriptions des maîtres sur la réalité extraterrestre, certains souffriront de l’interrogatoire que les deux anges, Munkir et Nakir, feront subir à tous les défunts. Avec une violence particulière, ils poseront certaines questions essentielles pour vérifier la cohérence de la conduite des hommes et des femmes qui ont promis d’être témoin de la Majesté divine.

Selon la réponse que nous donnerons, chacun rejoindra une demeure spécifique dans les tombes : celle des punis, des graciés, des méprisés et des honorés.

Puis nous resterons ainsi pendant une période incalculable jusqu’à ce que le son de la Trompette retentisse, indiquant la convocation du Jour du Jugement final. Alors, tous les habitants des tombes se réveilleront et se trouveront dans une vaste plaine, parce que les mers se seront retirées, les montagnes auront été aplaties et l’humanité réunie : « Le jour où la terre sera changée en une autre terre et les cieux en d’autres cieux, les gens comparaitront devant Dieu, l’Unique, le Victorieux. »2

Toutes les corps prendront la forme exacte qu’ils avaient au moment de leur mort. Tous attendront leur sentence, le Décret divin sur le poids des bonnes œuvres et des mauvaises actions. La tradition islamique rapporte que, déjà, au moment du décès, après que l’âme assiste aux grandes ablutions finales, au lavage rituel du corps du défunt, les 2 anges, Munkir et Nakir lui feront voir, par anticipation, sa destinée finale. Ainsi, le Jour du Jugement dernier, chacun sera déjà où il sera destiné, mais une espérance, l’ultime espérance, permettra encore à certains d’entre les condamnés au feu éternel de mériter les jardins du Paradis. C’est l’espoir d’une intercession des Prophètes qui sauront renverser le destin de ceux qui, bien qu’ayant été négligeant dans leur vie, pourront être, sur la base d’une repentance tardive, l’objet du pardon divin. « Votre Seigneur connaît mieux ce qu’il y a dans vos cœurs. Si vous êtes bons ; Il est certes Pardonneur pour ceux qui reviennent vers Lui repentant. »3

L’enseignement des maîtres musulmans se concentre sur 2 débats qui adviendront le Jour du Jugement : la comparaison des âmes des damnés devant Dieu, et le réconfort demandé par les âmes aux Prophètes qui intercèderont auprès de Dieu.

La première comparaison mentionne que les âmes des damnés seront appelées une à une à commenter les registres des actes accomplis sur la terre et retranscrits dans un livre ouvert, où il est reporté avec exactitude tout acte bon ou mauvais accompli dans la vie : « “Qu’a donc ce livre à n’omettre de mentionner ni pêché véniel ni pêché capital ?” Et ils trouveront devant eux tout ce qu’ils ont œuvré. Et ton Seigneur ne fait du tort à personne. »4 Il est dit que les âmes de chaque damné, à qui il sera autorisé à parler, chercheront à démentir l’évidence du Registre et chercheront à mentir à Dieu sur la réalité de leurs œuvres, attribuant les erreurs aux anges scribes. Alors, seront appelés « leur langue, leurs mains et leurs pieds et ils témoigneront contre eux pour les actions qui ont été commises. »5 Ainsi, les membres témoigneront contre eux et l’on ordonnera de les jeter en Enfer.

L’autre débat qui est décrit est l’intercession des Prophètes. D’un côté, l’on vérifiera leur fonction et, pour chacun des Prophètes, le Coran sera appelé à témoigner, à la personnalité du Coran sera demandé de lire la Parole de la Révélation divine qui rendra témoignage de la mission bénie des Prophètes et condamnera l’incrédulité et la malveillance des individus. D’un autre côté, se seront les mêmes individus qui demanderont aux Prophètes d’intercéder pour eux afin d’éviter la punition de l’Enfer. Les hommes iront vers le premier homme Adam, qui est aussi le premier prophète pour les musulmans. Celui-ci les renverra vers le premier Envoyé, Noé, qui les renverra vers l’Ami de Dieu, Abraham, qui les renverra vers l’interlocuteur de Dieu, Moïse, qui les renverra vers l’Esprit de Dieu, Jésus, qui au final les renverra vers le Sceau des Prophètes, Muhammad. Une période de mille années séparera la visite d’un Prophète à un autre. Muhammad, envoyé comme « une Miséricorde pour les mondes »,6 est considéré par les Prophètes comme le plus loué des médiateurs. Il se prosternera devant Dieu et restera dans cette condition pendant mille ans, louant sans discontinuité Dieu selon une louange jusqu’alors jamais révélée.

Alors Dieu ordonnera au Prophète de se lever et d’ordonner à l’Enfer de se présenter avec ses gémissements, ses bourdonnements, les étincelles et une fumée bouillante. La vision provoquera horreur et peur à tous ceux présents. Puis sera apporté une balance avec deux plateaux : un plateau de lumière à droite du Trône et un plateau de ténèbres à la gauche. Tous les hommes seront invités à se prosterner pour rendre hommage à Son Omnipotence, mais les mécréants et les idolâtres n’en seront pas capables.

La description anticipée de ces moments du destin extraterrestre de toute personne selon le Saint Coran, les enseignements du Prophète et les commentaires des maîtres nous ont permis d’approfondir brièvement le sens de la vie et de la mort en islam, dans ce monde et dans l’Autre. Quelle est la vie et qu’est-ce que la mort ? La vie réelle est-elle l’existence dans ce bas monde ou l’éternité dans l’Autre monde ? Et comment se manifeste, également dans ce bas monde, chez les créatures, l’éternité de la vie spirituelle ?

Selon l’enseignement des maîtres, l’éternité de la vie spirituelle se manifeste également dans ce monde, chez les créatures, en passant par deux moments qui délimite la période d’existence de la créature : une première mort qui advient à la naissance et une seconde mort qui signe la fin de la vie sur la terre.

La première mort est celle qui marque le passage de la Réalité incommensurable du monde non manifesté à la nature miraculeuse de la Création. Il s’agit d’une descente et d’une constriction de l’Infinie vers le fini, de l’Éternité vers le temps déterminé, de la Perfection absolue au monde de la relativité, de l’Unité à la multiplicité.

La seconde mort est le retour au Principe et l’attente du jugement sur la gestion de cette brève période d’activité et de responsabilité.

La conscience de cet ordre de réalité et cette relation proche entre la vie et la mort constitue la base de l’orientation de la vie du musulman dans ce monde : ils doivent agir dans ce monde avec la responsabilité de gérer la Création et la transmission de la science sacrée. Le musulman doit agir comme un pont entre ce monde et l’Autre, en sachant réaliser dans la vie la plénitude de la connaissance de Dieu entre les œuvres d’adoration qui Lui sont consacrées, et dans le même temps, œuvrer sur la terre, dans les temps et les modalités que Dieu a établis pour lui, avec un désir de se diriger vers le Miséricordieux, avec une aspiration à transcender, à dépasser les limites physiques et animiques qui caractérisent sa nature humaine.

Il s’agit, dans ce cas, d’une mort de l’individualité, d’une disparition du « je », d’un réel épuisement de l’égo qui contraste avec la Majesté de Dieu. La créature abandonne le voile de l’illusion et découvre la réalité authentique, réalisant la connaissance de soi comme microcosme qui reflète synthétiquement le macrocosme divin. Il s’agit de la vision d’une cosmologie plus vaste et plus profonde de ce qui apparaît et, plus particulièrement, d’une relation qui unit ce monde à son archétype, la créature à son Créateur, l’immanence à la transcendance, la richesse de l’univers à l’Unité de l’essence de Dieu.

Alors, dans ce cas, la vie de l’Autre monde, du monde supérieur, est vécu dès ce monde, sans que ne se confondent les plans : le musulman peut vivre l’anticipation de l’Au-delà dans la cohérence de la vie sur terre, goûter la présence de l’Éternel dans la communion des instants déterminés de ce monde, s’ouvrir à l’Absoluité de Dieu en assumant sa responsabilité dans la relativité de la Création, abandonner les limites de son physique ou de sa raison pour intégrer les deux plans dans la pureté d’une métaphysique jamais abstraite, mais opérative.

« Toute âme goûtera la mort »,7 dit le Saint Coran. L’iman Al-Ghazali commente ce verset en rappelant que « ce concept est énoncé trois fois dans Son Livre. Dieu le Très Haut indique qu’il existe trois morts en ce qui concerne les mondes : parce que toute personne en contact avec le monde terrestre doit mourir, toute personne en contact avec le monde extraterrestre, appelé Malakut, doit mourir, enfin, toute personne en contact avec le monde suprême, appelé Jabarut, doit mourir » La perle précieuse.

Il est donc demandé, au musulman vertueux, de disposer à l’extinction de sa faculté ou capacité individuelle pour s’ouvrir à la vision et à l’identification avec la Réalité d’un monde toujours supérieur. Sur la terre, nous avons besoin d’élever la dignité de l’homme à la noblesse de Adam, dans le règne angélique (malakut), nous avons besoin d’élever cette dignité à la pureté des élus, et dans le règne des élus (jabarut), nous avons besoin d’abandonner toute élévation pour réaliser la permanence dans la Sainteté d’Allâh.

La vie dans ce monde est donc liée à la vie dans l’Autre monde. La mort représente la frontière entre les mondes, la chute d’un voile et l’accès à la Réalité. L’homme d’aujourd’hui craint la mort et évite les discours qui la mentionnent, ou ne parle que pour mettre sous silence sa conscience ou pour revendiquer le Jour du Jugement d’avoir écouté une conférence à son sujet. L’ultime sens qu’abandonne le défunt est en fait l’audition, parce que la vue disparaît au moment où l’esprit se sépare du cœur. Et c’est pourquoi le Prophète a dit : « Répétez à vos morts le témoignage qu’il n’y a pas de dieu si ce n’est Dieu et que Muhammad est son Envoyé »


  1. Cor. 2 : 156.
  2. Cor. 24 : 48.
  3. Cor. 17 : 25.
  4. Cor. 18 : 49.
  5. Cor. 24 : 24.
  6. Cor. 21 : 107.
  7. Cor. 3 : 185.

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