L’Aïd al-Adhâ et le monothéisme abrahamique

Abd al-Wadoud Yahya Gouraud

24-10-2012

Les musulmans de France et du monde entier célèbrent en ces jours bénis l’Aïd al-Adhâ, « la fête du Sacrifice », appelée également Aïd al-Kabîr, « la grande fête », qui marque la fin de la période du Pèlerinage à La Mecque. Comme son nom l’indique, cette célébration annuelle commémore le sacrifice offert à Dieu par Abraham, dont l’obéissance et la profondeur de la foi lui ont notamment valu l’appellation d’« ami de Dieu » dans le Coran. Selon le texte sacré, le prophète s’était vu, lors d’un songe, en train d’immoler son fils. Lorsque Abraham demanda à celui-ci ce qu’il en pensait, le fils répondit à son père de faire ce qui lui était commandé, lui assurant qu’il le trouverait patient, in sha’Allah, « si Dieu le veut ». Tous deux, se soumettant activement à ce qu’ils considéraient comme un ordre divin, s’apprêtaient donc à accomplir le sacrifice lorsque Dieu appela Abraham : ce dernier avait réussi à surmonter l’épreuve divine, et le sacrifice du fils fut substitué par celui d’un animal. « Et Nous perpétuâmes son renom dans la postérité. Que la Paix soit sur Abraham ! C’est ainsi que Nous récompensons les vertueux, car il fut sans conteste du nombre de Nos serviteurs croyants », finit le récit coranique.1 Aujourd’hui, comme alors, les musulmans sacrifient un agneau en souvenir d’Abraham et de son fils, pour qu’ils puissent non seulement faire revivre la tradition de leurs pères, mais surtout se conformer à l’enseignement de ces prophètes qui sont les modèles des hunafâ’ muslimûn, les purs adorateurs du Dieu unique, pleinement soumis à Sa volonté dans la Paix.

L’histoire d’Abraham et du sacrifice, relatée également dans le texte biblique avec des variantes concernant en particulier l’identité du fils destiné au sacrifice, fait partie d’un patrimoine spirituel et culturel que partagent les religions dites « monothéistes » : judaïsme, christianisme et islam. Que le fils en question soit Isaac ou Ismaël, Abraham n’en demeure pas moins notre père commun, qui a enseigné et transmis l’héritage de la Tradition immuable et unique (ad-dîn al-qayyim), laissant aux générations un modèle de foi et de soumission qu’il appartient à ses descendants spirituels de suivre. Le sacrifice de son fils, arrêté au dernier moment par l’ordre exprès de Dieu, fut proposé à ses descendants spirituels, juifs, chrétiens et musulmans, afin de transformer la violence explicite des sacrifices humains en symbole d’un combat intérieur visant à arracher la racine même de la violence, « l’âme instigatrice du mal » (an-nafs al-ammâra bi-s-sû’). Pourtant, la plupart des descendants d’Abraham semblent avoir oublié le goût du combat spirituel le plus noble, celui contre soi-même. Ils vont jusqu’à se battre entre eux pour revendiquer l’honneur exclusif de descendre en ligne directe de la victime sacrificielle, lignage auquel semble associé un droit particulier. Mais lequel ? Le droit d’être le seul monothéisme véritable, ou, plus prosaïquement, celui de posséder les territoires sur lesquels eurent lieu ces événements ? La signification spirituelle du sacrifice est alors délaissée au profit de la dispute de famille, de la chicane sur le droit d’aînesse, et des querelles de préséance.

Un tel héritage abrahamique montre, avant tout, que ces religions ne sont pas « monothéistes » parce que chacune d’elle ne reconnaît qu’un seul dieu — sous-entendu : le sien qui ne serait pas le même que celui des autres. Cela ne serait pas du monothéisme, mais une forme de monolâtrie. Judaïsme, christianisme et islam sont des religions monothéistes parce qu’elles proviennent du Dieu unique qui est le même pour toutes les trois, le Dieu de tous les hommes qui a révélé Sa parole, sous des formes différentes, par le biais de tous Ses prophètes, depuis Adam jusqu’à Muhammad. Aussi serait-il plus juste de parler de trois Révélations du « monothéisme abrahamique », expression qui met en évidence la commune origine divine de ces religions, tout en rappelant une filiation prophétique particulière qui fait d’Abraham le patriarche du monothéisme, et de ses deux fils, Ismaël et Isaac, les pères, respectivement des prophètes Muhammad, messager de l’Islam, et Moïse, guide du peuple d’Israël, au sein duquel est né Jésus-Christ lui-même. Que la Paix de Dieu soit sur tous les prophètes et envoyés !

A chacun de vous Nous avons donné une Loi et une Voie. Si Dieu l’avait voulu, Il aurait fait de vous une seule communauté. Mais Il a voulu vous éprouver dans ce qu’Il vous a donné. Rivalisez donc entre vous à travers les bonnes actions. Vous retournerez tous à Dieu, et c’est alors qu’Il vous informera à propos de ce en quoi vous divergez.2

Les différences entre les religions authentiques correspondent aux manifestations multiples d’un message essentiellement unique, qui a été adressé par Dieu à des peuples vivant dans des lieux et des temps différents. Au-delà de cette multiplicité providentielle, la rencontre entre les fidèles des Révélations du monothéisme abrahamique comme des autres grandes traditions spirituelles, vient en rappeler l’unité profonde, celle de Dieu Lui-même, qui lie en même temps les hommes par une origine spirituelle commune. En effet, selon la tradition islamique, tous les êtres humains sont liés à Dieu, et entre eux, par le témoignage qu’ils ont porté devant leur Seigneur, avant même le déploiement du temps. Le Coran relate cet événement du Pacte primordial (mîthâq) entre Dieu et les humanités à venir :

Quand ton Seigneur tira une descendance des reins des fils d’Adam, Il les fit témoigner sur eux-mêmes : « Ne suis-Je pas votre Seigneur ? » Ils dirent : « Oui, nous en témoignons ! » Cela afin que vous ne disiez pas, le Jour de la Résurrection : « Nous n’étions pas au courant de cela. »3

Certains commentaires traditionnels soulignent que, à travers cette alliance éternelle scellée avec Dieu, les hommes ont acquis, par la reconnaissance que Dieu est le seul Seigneur, une même connaissance qui constitue une unique nature spirituelle originelle (fitra). En répondant à l’unisson : « Oui, nous en témoignons ! », ils ont déjà été unis dans cette réponse commune, car seul l’Unique peut unir. Cette nature spirituelle fonde entre les hommes une fraternité profonde, au-delà de la fraternité confessionnelle avec leurs coreligionnaires, de la fraternité abrahamique avec les autres monothéistes, et même de la fraternité adamique. Car cette fraternité-là n’est pas génétique, mais métaphysique. C’est dans ce sens que les êtres humains peuvent être dits « frères », non seulement en raison de la constitution physionomique ou biologique qu’ils partagent, mais avant tout en vertu de cette nature spirituelle primordiale, créée « selon la forme du Tout-Miséricordieux »,4 à laquelle tous participent, hommes et femmes. Autrement, le monothéisme abrahamique et la fraternité spirituelle risquent d’être compris et vécus à tort d’une façon purement terrestre et horizontale, soit comme la cohabitation fragile de trois religions ayant chacune « leur » dieu, soit comme un lien génétique entre les disciples lointains de prophètes qui partagent pourtant à la fois un même message spirituel et une ascendance généalogique commune.

L’exemple de la rencontre entre judaïsme et islam est à cet égard révélateur. Le rapprochement légitime et réel entre les peuples hébreu et arabe, qui ont reçu la révélation par l’intermédiaire de Moïse et de Muhammad, respectivement sous la forme de la Torah et du Coran, chacun dans une langue sacrée, ne se fonde pas seulement sur leur commune origine « sémite ». Il tient d’abord à la présence de la lumière prophétique particulière dont ils sont les dépositaires, sans exclusive ni confusion. En effet, Isaac et Ismaël ne sont pas seulement les deux fils d’Abraham, ils sont avant tout deux prophètes, fils d’un prophète, qui sont nés de deux mères, comme pour préfigurer et annoncer par là la naissance de deux religions, le judaïsme et l’islam. C’est l’un des sens de la parole du Prophète Muhammad : « Je suis plus proche de Jésus fils de Marie, dans ce monde-ci et dans l’Autre, que ne le sont les hommes. Les prophètes sont des frères dont les mères sont différentes, mais dont la religion est unique. »5

Cette religion unique n’est autre que la « Tradition primordiale, immuable et axiale » (ad-dîn al-qayyim) que le Coran rattache à la fitra originellement tournée vers l’Unicité divine. En effet, il faut bien constater que, tout en partageant la même nature spirituelle, les hommes sont différents dans le temps et dans l’espace, et qu’ils parlent aussi des langues diverses. Or, « Nous n’avons envoyé de prophète qu’avec la langue de son peuple, afin qu’il l’éclaire. »6 La multitude des Révélations reflète la diversité des langues, mais, dans son essence, la religion est une parce que Dieu, qui en est la source, est Un. Les Révélations qui se succèdent représentent autant de manifestations de la religion immuable adaptées aux circonstances historiques et géographiques. Elles viennent répéter, sous des formes différentes, un seul et unique message : « Il n’y a pas de dieu si ce n’est Dieu » (lâ ilâha illâ Allâh), qui ravive le souvenir du Pacte primordial, et donne un « second souffle » à l’aventure du cheminement vers Dieu.

C’est donc en Dieu que la communauté des hommes peut trouver son unité. Réunis par l’Unicité divine, les êtres humains ont la possibilité, quelle que soit leur religion ou leur culture, de se connaître et de se reconnaître comme les membres d’une même famille spirituelle, dans la mesure où ils sauront honorer la noblesse de leur nature originelle, et se montrer fidèles au Pacte primordial par lequel ils ont reconnu la Vérité unique, celle-là même qui s’est manifestée à travers le cycle des différentes Révélations. Ce n’est qu’ainsi qu’ils pourront apprendre à coexister et à coopérer avec l’intelligence et l’honnêteté de l’Esprit, trace indélébile du Souffle divin en l’homme.

Cette aspiration à une rencontre « par le haut » pose l’exigence d’une convergence intellectuelle entre les religions, qui va bien au-delà du seul plan de la fraternité humaine, ou même abrahamique. C’est en suivant cet élan que ce qui doit être une rencontre spirituelle en Dieu évitera de sombrer progressivement dans la recherche d’un nouvel humanisme, qui n’est pas d’ordre spirituel mais la simple expression d’une sentimentalité exacerbée, sans parler des tentatives de partenariat politique qui s’apparentent plus à de la diplomatie profane qu’à un réel échange religieux. Il semble pourtant que, de nos jours, le dialogue dit « interreligieux » ne parvienne pas à dépasser la recherche d’un terrain d’entente minimum, sur un plan horizontal, en vue de favoriser la coexistence pacifique dans des sociétés de plus en plus « multiconfessionnelles ». En dépit des nombreuses rencontres « interculturelles » ou « interreligieuses » qui sont organisées, aux niveaux international, national et local, on continue à concevoir ce dialogue dans une optique simplement sécuritaire, ou en réaction à des dangers éventuels liés aux phénomènes de l’antisémitisme, du racisme et de l’islamophobie. On assiste ainsi à une sorte de sécularisation et de désacralisation de la rencontre « interreligieuse », qui n’est plus même « religieuse » dans le sens d’un acte accompli au nom et en vue de Dieu, mais qui se transforme en réunions institutionnelles, en associations d’amitié ou en marches pacifistes. On est loin, dans tout cela, d’une recherche d’entente intellectuelle au niveau métaphysique, d’une reconnaissance mutuelle de l’Unité et de la Transcendance divines dans la diversité et la multiplicité des religions et des cultures, ou d’une fraternité authentiquement spirituelle entre les croyants du monothéisme abrahamique et entre les hommes.

Par ailleurs, il convient de dénoncer, sinon de déplorer, certaines tendances dissolvantes qui sont de plus en plus à l’œuvre, y compris au sein des communautés religieuses, et qui essaient de ruiner les fondements spirituels des religions et de leur rencontre ; des tendances qui vont des interprétations psychanalytiques, sociologiques et rationalistes de l’« herméneutique » moderniste, aux dérives syncrétistes qui prétendent à l’uniformité doctrinale et à la confusion artificielle des rites, en passant par les excès du laïcisme qui voudrait reléguer les religions à la sphère privée dans la société, ou les réduire à des systèmes philosophiques qui ne s’occupent que de morale. En réalité, les religions sont porteuses d’un riche patrimoine spirituel, intellectuel et culturel, et le rôle des religieux ne s’arrête pas au simple rappel des valeurs éthiques élémentaires qui font si souvent défaut dans les domaines politique, scientifique et économique de nos jours. Il consiste avant tout à apporter une parole de vérité, de sagesse et de paix, en témoignant du fait que celles-ci ne sont pas des idées vagues, mais qu’elles appartiennent à Dieu, Lui qui est la Vérité, la Paix, le Sage, le Juste. Les religions ne font pas de « politique », au sens profane du terme, mais elles peuvent néanmoins contribuer à la stabilité et à la préservation de l’ordre et de l’harmonie dans le monde, dont la charge et la gestion ont été confiées par Dieu à l’être humain.

Nul doute qu’il est indispensable de délégitimer toute violence commise au nom de Dieu ou d’un principe religieux, en rappelant pour ce faire les valeurs de paix, de respect et de fraternité qui sont au cœur des religions juive, chrétienne et musulmane, comme de toutes les grandes traditions spirituelles de l’humanité. Toutefois, si la religion ne peut être instrumentalisée à des fins autres que spirituelles, pour servir à légitimer la violence du terrorisme et la guerre, l’on ne peut non plus accepter qu’elle soit transformée en un simple instrument de paix terrestre, entendue de manière exclusivement humaine. Dans cette confusion entre paix et simple non-belligérance, le contenu réel du message religieux est appauvri et réduit aux niveaux mental et sentimental, pour s’accorder avec les nécessités temporelles et les préoccupations mondaines du moment. On oublie que la Paix véritable n’est pas « celle que donne le monde », selon la parole du Christ, mais plutôt celle des cœurs apaisés dans le Royaume des Cieux, lequel n’a rien à voir avec le paradis artificiel que certains s’illusionnent de pouvoir recréer sur terre.

Tout ce que nous avons dit jusqu’ici montre combien sont non-fondées et injustifiables, du point de vue islamique orthodoxe, les actes de terreur et les meurtres gratuits qui continuent malheureusement d’être perpétrés contre des vies sacrées et innocentes par des franges extrémistes prétendant se réclamer de l’islam. Les massacres qui ont touché récemment la communauté chrétienne d’Irak sont, faut-il encore le rappeler, totalement contraires à l’esprit de l’islam comme à ses principes et ses lois. Les extrémistes de tout bord, qui manipulent la religion à des fins d’hégémonie politique ou de revendications ethnique, nationale ou territoriale, en cherchant à instrumentaliser les masses par l’idéologisation du sentiment religieux, ne font qu’accroître la confusion et l’incompréhension, qui empêchent toute Paix véritable entre les hommes, et freinent de ce fait la résolution pacifique, juste et durable du conflit au Moyen-Orient. À cet égard, il est tout à fait incongru de vouloir présenter certains conflits comme « religieux », et notamment le conflit israélo-palestinien, qui est avant tout d’ordre politique et territorial. En effet, ce conflit n’est ni racial — arabes et hébreux sont sémites —, ni culturel — tous les musulmans ne sont pas arabes et tous les juifs ne sont pas israéliens, et inversement —, ni encore moins religieux — juifs, musulmans et chrétiens adorent le même Dieu d’Abraham.

Les religions sont instrumentalisées à des fins qui ne sont pas spirituelles, et l’on en arrive à déclarer des « guerres saintes » entre des croyants de la même religion, ce qui fait dire que ce sont les religions qui apportent la guerre. Or, si les hommes se battent, ce n’est pas parce qu’ils sont juifs, chrétiens ou musulmans, mais parce qu’ils ne le sont pas, ou plus assez, ou qu’ils ne le sont plus en pratique.7

Au contraire, les paroles, les actes et même le visage des hommes vraiment religieux reflètent la sagesse, la sérénité, l’intégrité et la noblesse, qui sont, pour les croyants, un rappel de l’exemple lumineux de tous les prophètes et saints aux cœurs purs. Dans le respect des différences théologiques et des prescriptions sacrées qui sont propres à chaque religion, par la Volonté divine, le témoignage quotidien d’une existence vécue au rythme de la prière, de l’invocation de Dieu, du jeûne et du pèlerinage, doit susciter une sainte émulation, une « rivalité » vertueuse entre juifs, chrétiens et musulmans, et tous les croyants à la recherche du Bien suprême et de l’excellence spirituelle par la bonté des œuvres. Une sacralisation de la vie et des actes au nom de l’Unique qui témoigne de la dépendance ontologique de tout homme envers le Créateur, sa vocation sacerdotale à l’adoration et à la connaissance de Dieu.

Les êtres humains et les fidèles des Révélations monothéistes sont donc indissolublement liés, en Dieu, par une fraternité à la fois spirituelle, abrahamique et adamique. Non seulement cette fraternité fonde la rencontre « interreligieuse », ou plus simplement « religieuse », mais elle prépare avant tout à la réalisation d’une entente réellement « métaphysique » entre les orthodoxies et entre les croyants, alors que le simple « dialogue », dans ce domaine, s’avère finalement sans issue, parce qu’il est marqué du sceau de la dualité. Ce n’est pas, à proprement parler, au judaïsme, au christianisme et à l’islam de s’entendre, mais plutôt aux juifs, aux chrétiens et aux musulmans de s’entendre les uns avec les autres, ou plus précisément de s’entendre les uns les autres proclamer, dans les formes religieuses propres à chacun, la louange et la gloire du Dieu unique, Dieu d’amour et de miséricorde, en écho à cette première parole que nous avons prononcée avant le déroulement du temps, dans l’éternité métaphysique du Pacte primordial. Cette écoute respectueuse témoignera ainsi de l’acceptation du mystère divin qui n’est épuisé par aucune révélation. C’est dans cette perspective et sur cette base que peut s’établir « l’accord sur les principes » dont parlait René Guénon, le Shaykh ‘Abd-al-Wâhid Yahyâ en islam, et qui devrait conduire les croyants des religions orthodoxes à reconnaître réciproquement la validité salvatrice des unes et des autres, seule condition pour une communion véritable entre les croyants.

Ceux qui ont cru, juifs, chrétiens et sabéens, ceux qui ont cru en Dieu et au Jour dernier, et ont œuvré vertueusement auront leur récompense auprès de leur Seigneur : ils ne connaîtront ni crainte ni affliction.8

Nous ne pouvons conclure cette réflexion sur les relations entre judaïsme, christianisme et islam, sans évoquer la signification spirituelle et la valeur symbolique de Jérusalem, appelée en hébreux Yirushalaim, « ville de la paix », et en arabe al-Quds, « la sainte ». En effet, dans cette ville triplement sainte se côtoient les symboles du monothéisme abrahamique que sont notamment le Saint des Saints du Temple de Salomon, le Saint sépulcre du Christ, et le lieu d’ascension au ciel (mi‘râj) du Prophète Muhammad lors de son voyage nocturne depuis la mosquée sacrée jusqu’à la mosquée la plus éloignée dont Nous avons béni les alentours.9

Si la Jérusalem terrestre symbolise bien la rencontre au sommet, en Dieu Lui-même, des croyants sincères, c’est parce qu’elle est le symbole d’une Jérusalem céleste universellement promise, et dont la « descente » annonce la fin des temps. C’est dans la sacralisation du regard que la cité sainte dépasse la simple dimension historique et géographique pour devenir salvatrice et eschatologique, suivant l’inspiration de la parole de l’Apocalypse de saint Jean : « Voici la demeure de Dieu parmi les hommes. » L’attachement des fidèles des trois religions abrahamiques à Jérusalem s’explique avant tout par la place centrale qu’elle possède dans la perspective eschatologique. En effet, c’est à Jérusalem que se manifestera, à la fin des temps, le Messie de la Parousie que tous, juifs, chrétiens et musulmans, attendent. Pour les chrétiens et les musulmans, il s’agit de Jésus, le Christ de la seconde venue, dont il est dit qu’il confondra l’Antéchrist, nommé ad-Dajjâl par la tradition islamique, l’imposteur borgne qui, dans la méconnaissance de la réalité spirituelle de l’homme, n’en perçoit que les éléments psychique et corporel, et qui apporte ainsi une vision du Paradis qui sera en réalité l’Enfer, et une vision de l’Enfer qui sera en réalité le Paradis.

Mais Jérusalem est sainte d’abord parce qu’elle est la ville du Très-Saint, al-Quddûs, autre Nom divin qui nous rappelle que la sainteté des lieux consacrés par la sagesse divine réside en ce qu’ils sont les lieux dans lesquels l’homme s’efforce d’être saint. La sainteté de Jérusalem constitue, pour tous les croyants du monothéisme abrahamique, un appel à se mettre en route pour ce « voyage du cœur » qui est le pèlerinage intérieur de la Jérusalem terrestre à la Jérusalem céleste. C’est dans cet esprit d’unité et d’universalité que la commémoration du sacrifice d’Abraham peut être vécue par les musulmans, par tous les croyants et les hommes de bonne volonté qui sauront, par le témoignage exemplaire d’une vie terrestre semblable à celle du Ciel, élever leur esprit au-dessus d’eux-mêmes et incarner une dimension prophétique, pour être portés de l’aspect transitoire des choses humaines à la profondeur de la Cité de Dieu. « Et que la Paix soit sur Abraham ! »


  1. Le récit du sacrifice est rapporté dans la sourate 37, versets 99 à 111.
  2. Coran 5 : 48.
  3. Coran 7 : 172.
  4. Hadith rapporté par Ahmad ibn Hanbal.
  5. Rapporté par al-Bukhari.
  6. Coran 14 : 4.
  7. Shaykh Abd al-Wahid Pallavicini, L’islam intérieur, Ed. Christian de Bartillat, Paris, 1995, p. 185.
  8. Coran 2 : 62.
  9. Coran 17 : 1.

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