Dars “La nouvelle année”

Abd al-Wadoud Yahya Gouraud

02-01-2009

Nous voilà entrés dans la nouvelle année, non seulement 2009 du calendrier solaire et chrétien, mais aussi 1430 du calendrier lunaire et islamique. Que Dieu nous ouvre les portes de Sa miséricorde et de Sa grâce, et nous aide à renouveler notre foi en Lui et à mieux L’adorer ! C’est l’occasion de faire le bilan de l’année passée, de demander des comptes à nos âmes et d’évaluer nos actions avant que Dieu le fasse au jour du Jugement dernier. Interrogeons nous sur notre foi et notre comportement, afin d’essayer de ne pas refaire les mêmes erreurs, mais de faire mieux l’année à venir pour plaire à Dieu, avec Son aide. Ce nouveau cycle de l’année lunaire 1430 de l’Hégire, la Hijra, est une grande occasion pour tous les musulmans, à plusieurs niveaux :

  • Pour rappeler le récit et la signification de l’émigration du Prophète de La Mecque à Yathrib (qui deviendra plus tard Madînat an-Nabî, la ville du Prophète, ou Médine).
  • Pour réfléchir et méditer sur certains signes de Dieu : la valeur sacrée du temps, ainsi que la sagesse, l’ordre et les lois immuables que Dieu Tout Puissant a établis pour Sa création ; la fonction naturelle du soleil et de la lune. Ce qui augmentera notre foi et notre connaissance de Dieu, avec le désir de Le glorifier et de Le remercier davantage.
  • Pour rappeler le sens du temps qui s’écoule, et la correspondance entre la fin d’une année, la fin de notre vie, et la fin du monde. Ce qui nous aidera à nous préparer à notre mort, à l’Heure dernière de ce monde, qui est de plus en plus proche, et surtout pour chercher le Paradis et la proximité de Dieu dans l’Autre monde.

I

L’année hégirienne renvoie à l’hégire, en arabe hijra, qui signifie « émigration », mais plus précisément « rupture des liens tribaux ». Historiquement, c’est l’émigration du Prophète de La Mecque à Médine en 622. À ce moment-là, à La Mecque, les persécutions contre les musulmans atteignirent de telles proportions que la vie du Prophète se trouva menacée ; c’est alors qu’il trouva asile à Yathrib. Après treize années à La Mecque, pendant lesquelles le Prophète avait transmis le message de la Révélation coranique, et avait appelé avec ses compagnons à l’adoration du Dieu Unique, Dieu a ordonné et donné la permission de quitter La Mecque pour chercher refuge ailleurs. Cette émigration faisait suite à la première émigration d’une délégation de musulmans envoyés par le Prophète, qui trouvèrent refuge dans le royaume chrétien de l’Abyssinie, l’Éthiopie actuelle. Pour la deuxième et dernière émigration, le Prophète annonça à Abû Bakr et d’autres Compagnons : « Le lieu de votre émigration m’a été montré : j’ai vu un pays bien arrosé, riche en dattiers, situé entre deux étendues de pierres noires » (Bukhari). Abû Tâlib, oncle et protecteur du Prophète, était mort cette année-là, et les chefs de la tribu Quraïch décidèrent de saisir l’occasion pour se débarrasser de l’homme qui avait mis à mal toutes leurs pratiques païennes à La Mecque. Ils complotèrent pour assassiner Muhammad. On décida qu’un membre de chaque clan participerait à l’opération de manière que tous en partagent la responsabilité. Jibril, l’ange Gabriel, avertit le Prophète, qui prévint Abû Bakr qu’ils allaient s’enfuir ensemble à Yathrib. La nuit venue, Muhammad donna pour instruction à son cousin ‘Alî de tromper les conspirateurs en revêtant son manteau vert et en dormant dans son lit : « Tu vas dormir sur mon lit et t’envelopper dans ce manteau. Dors dedans, et ils ne te feront aucun mal. » Puis il commença à réciter la sourate Yâ-Sîn ; et lorsqu’il arriva au verset :

Et Nous les avons recouverts, en sorte qu’ils ne voient rien,1

il sortit de la maison. Dieu détourna leurs regards en sorte qu’il passa au milieu d’eux inaperçu et poursuivit son chemin sans être inquiété. Se glissant hors d’atteinte de ses ennemis qui encerclaient sa maison, le Prophète rejoignit Abû Bakr. Tous deux quittèrent La Mecque à dos de chameau, suivis par un troupeau de moutons qui recouvraient leurs traces. Ils se cachèrent dans une grotte du mont Thawr, à plusieurs kilomètres au sud de la ville, alors que ‘Abd Allâh, le fils d’Abû Bakr, ramenait les chameaux. Dans la maison du Prophète, les conspirateurs tombèrent sur ‘Alî et se rendirent compte qu’ils avaient été bernés. Un groupe parti à sa recherche parvint jusqu’à la grotte mais ne put l’inspecter car un acacia miraculeusement et soudainement poussé là en obstruait l’entrée ; d’ailleurs, la présence à l’entrée d’une toile d’araignée et d’un nid de colombe contenant un œuf, semblait prouver que personne n’y était entré. Le Coran parle de cet épisode miraculeux :

Si vous ne voulez pas prêter assistance au Prophète, Dieu lui a déjà prêté la Sienne lorsque, chassé par les négateurs et se trouvant dans la grotte avec son seul compagnon, il disait à celui-ci : « Ne sois pas triste ! Dieu est avec nous. » Dieu étendit alors sur lui Sa grande paix, envoya à son secours des troupes invisibles, faisant ainsi échec aux négateurs et assurant le triomphe de la Parole divine, car Dieu est Puissant et Sage.2

Après s’être cachés pendant plusieurs jours, le Prophète et Abû Bakr continuèrent leur route à dos de chameau avec un guide bédouin et alimentés en vivres par la fille de Abû Bakr, Asmâ’. Pendant un trajet qui dura de dix à quatorze jours environ (sur une distance de 450 à 500 kilomètres), fut révélé le verset coranique :

Celui qui t’a donné le Coran te ramènera sûrement là où tu aspires à faire retour.3

Soixante-dix musulmans mecquois environ émigrèrent à Yathrib en même temps que le Prophète. Ce sont les premiers authentiques muhâjirûn (émigrants). D’autres les imitèrent au cours des années suivantes. « Le dernier muhâjir », d’après les propres paroles du Prophète, fut un de ses oncles, al-‘Abbâs, qui rejoignit les rangs musulmans alors que ceux-ci avançaient pour prendre La Mecque, donc bien après. L’Hégire advint en 622, probablement le 17 septembre. Seize années plus tard, en 637, le calife ‘Umar ibn al-Khattâb officialisa la coutume du Prophète de dater les événements à partir de l’Hégire. L’an 622 est ainsi devenu le point de départ de l’ère islamique.

II

Les savants expliquent que la hijra comporte deux dimensions, l’une extérieure et l’autre intérieure. La hijra consiste, extérieurement, à fuir les troubles par le biais de la religion ; intérieurement, elle consiste à abandonner tout ce à quoi poussent le diable et l’âme instigatrice du mal. Le Prophète a dit en effet : Le muslim est celui qui n’offense pas ses frères, que ce soit par ses actes ou par ses paroles, et le muhâjir est celui qui fuit ce que Dieu a interdit.4 Ainsi avant d’être une émigration de La Mecque à Médine, c’est-à-dire d’un lieu à un autre, la hijra était avant tout vers Dieu par la soumission à Sa volonté dans la paix, l’obéissance, et la sincérité des actions pour Lui. D’où le hadith bien connu selon lequel les actes ne valent que par les intentions, et chacun recevra selon son objectif. Celui qui émigre vers Dieu et Son envoyé, son émigration lui sera compté comme étant pour Dieu et Son envoyé. Tandis que celui dont l’émigration a pour but d’acquérir des biens de ce bas-monde ou d’épouser une femme, son émigration ne sera comptée que pour ce vers quoi il a émigré.5

Selon Ibn al-Qayyim al-Jawziyya, l’émigration vers Dieu et Son prophète est une obligation pour tous, à toutes les époques et en tous lieux, jusqu’à la fin des temps et la venue de l’Heure dernière. Le Prophète disait en effet : L’émigration ne s’arrête pas tant que ne s’arrête pas le repentir. Et le repentir ne s’arrêtera pas tant que le soleil ne se sera pas levé à l’Ouest. (Abu Dawud) La hijra est comparable au repentir : le croyant qui se repent de son péché émigre vers Dieu chaque fois qu’il renouvelle son repentir. C’est ce que Dieu attend de Ses serviteurs. Il y a deux sorte de hijra : d’un côté, l’émigration physique, d’un pays à un autre. Ses conditions et ses règles sont bien connues. De l’autre côté, il y a l’émigration du cœur vers Dieu et Son prophète. C’est elle la véritable émigration, alors que l’émigration géographique peut en être une conséquence. Cette hijra du cœur se fait par rapport à Dieu et vers Dieu. Le muhâjir émigre avec son cœur : de l’amour pour les créatures ou les idoles vers l’amour de Dieu, de l’adoration d’autre chose que Lui vers Son adoration seulement, de la dépendance envers autre chose que Lui vers la dépendance envers Lui seul ; son cœur émigre de la peur, de l’espoir et de la confiance envers autre que Lui vers la peur, l’espoir et la confiance envers Dieu seul, de la soumission à autre que Lui vers la soumission à Dieu seul. C’est le sens de cet ordre divin dans le Coran : Fuyez vers Dieu !6, et de la parole d’Ibrahim : Je m’en vais vers mon Seigneur, Il me guidera dans Sa voie.7 Telle est la signification profonde de l’Unicité de Dieu que le serviteur doit réussir à témoigner et à réaliser : fuir Dieu vers Dieu, puisque toute chose, y compris ce que l’on quitte, dépend de Sa volonté absolue. C’est pourquoi le Prophète, dans certaines invocations, implorait Dieu en disant : « Je cherche refuge en Toi contre Toi », et aussi : « Il n’y a, contre Toi, pas d’autre lieu de refuge et de secours qu’auprès de Toi. »

III

Il est important de rappeler que, d’un point de vue islamique, l’époque de l’Ignorance, la jâhiliyya, s’est terminée avec la manifestation providentielle de la révélation coranique, transmise par le Prophète Muhammad à tous ceux qui ont su reconnaître la Vérité et passer, de cette façon, de l’idolâtrie à la foi dans le Dieu unique, de l’ignorance à la Connaissance intérieure et extérieure, et de la décadence des liens tribaux à la participation à la civilisation traditionnelle qui était née de la communauté religieuse islamique. C’est exactement ce passage et ce changement de perspective qui ont été marqués par l’émigration du Prophète de la ville sainte de La Mecque à l’oasis de Yathrib, la future Médine. Deux circonstances amenèrent, apparemment, le Prophète à Médine : d’une part, il subissait de violentes oppositions et des persécutions féroces de la part de ses compatriotes qui n’avaient pas reconnu l’authenticité du message révélé ; d’autre part, deux tribus de l’oasis de Médine l’avaient appelé à l’aide, et lui avaient demandé d’intervenir comme arbitre et médiateur entre les diverses communautés du lieu afin de garantir la paix, conformément à sa mission prophétique. Les compagnons du Prophète, une fois arrivés à Médine, furent appelés « émigrés » (muhâjirûn), pour les distinguer des membres des tribus de Médine qui avaient adhéré à l’islam, et qui furent appelés « auxiliaires » (ansâr). Ainsi, la première communauté islamique de Médine se présentait-elle non seulement comme l’union de différentes tribus provenant de plusieurs parties de la péninsule arabique, mais aussi comme un ensemble harmonieux d’immigrés et de résidents d’origine. Le Prophète encouragea les relations et les alliances entre les peuples, favorisant des liens nouveaux de fraternité authentique entre les résidents et les immigrés dans un climat de respect réciproque et de responsabilité spirituelle que chacun devait assumer. En effet, non seulement chacun était responsable devant Dieu de ce qu’il disait ou ne disait pas, faisait ou ne faisait pas, mais il devait en rendre compte directement au Prophète.

Voilà pourquoi la ville de Médine peut, aujourd’hui encore, constituer un exemple pour tous les musulmans, à condition que nous voulions vraiment reconnaître dans quel désert d’ignorance nous sommes retombés, et que nous voulions nous engager sérieusement sur la voie de la soumission complète à Dieu, en mettant en pratique les règles sacrées que le Prophète nous a transmises, dans l’espoir sincère de parvenir à une oasis de paix où toutes les composantes de notre être puissent être reconduites, suivant un ordre clair, pour retrouver une condition de pureté et d’intégrité authentiques, base fondamentale de toute civilisation traditionnelle sachant agir en conformité avec la Volonté et la Justice divines. Il ne s’agit donc pas de reconstruire ici, en France et en Europe, de façon artificielle et hors de son contexte, le plan urbain de la Médine de l’an 630, ni de revendiquer la constitution de nouvelles théocraties.

Connaître sa fitra, sa propre nature spirituelle au lieu d’être victime de la culture de la propriété matérielle, gouverner son âme passionnelle au lieu de suivre ses instincts sentimentaux, et, enfin, rechercher la conformité symbolique d’une action accomplie pour le bien de toute la communauté plutôt que d’imposer avec arrogance sa volonté individuelle, tout cela constitue les vertus d’une personne religieuse qui cherche en Dieu les fruits de l’effort accompli. C’est ainsi que nos frères immigrés, et leurs enfants nés en France, pourront conserver leur identité au sein de leur communauté religieuse d’appartenance, et se comporter efficacement et avec respect à l’égard des autres, s’ils voient ceux-ci comme les fidèles d’autres religions ou, plus simplement, comme des créatures de Dieu. Avoir conscience de la profonde décadence de la société contemporaine et de son éloignement de la vision de l’Absolu, ne doit pas faire oublier à l’homme la lutte perpétuelle entre les forces du bien et du mal. Cette conscience, au lieu de provoquer en lui une révolte contre le monde moderne, devrait surtout le pousser à rechercher dans les principes universels de la religion les réponses nécessaires pour dépasser ses propres limites individuelles. N’oublions pas le hadith qudusi où Dieu dit :

Le fils d’Adam M’insulte : il insulte le temps, alors que le temps c’est Moi. Toute chose est entre Mes mains, et je fais alterner jours et nuits.8

Sur la terre où il vit, prie, travaille et cherche la satisfaction de son Seigneur, le musulman montre l’exemple d’une intégration sereine, dans le respect des coutumes de sa société et dans la coexistence pacifique aux côtés de ses concitoyens. C’est un signe de politesse naturelle et de bonne éducation que de leur présenter ses vœux pour l’année 2009, ou au moins de répondre aux vœux qu’un non-musulman lui présente. Comparée à l’année islamique, l’année 2009 correspond à un calendrier également religieux, qui se réfère à la naissance de ‘Isa ibn Maryam, un grand prophète que l’Islam reconnaît comme Esprit de Dieu, Sa parole, et celui dont nous savons qu’il redescendra avant la fin du monde en tant que signe annonciateur de l’Heure dernière. Mais, dans la pratique, les vœux que les gens se présentent habituellement en France et ailleurs, sont des vœux civils et non religieux. Le citoyen français musulman, qui contribue au développement de la société en bonne entente avec ses semblables, n’a donc aucun problème à faire preuve de civisme, bien au contraire.

Ce n’est que de cette manière que le musulman, immigré ou non, se découvrira comme un vrai muhâjir, c’est-à-dire comme celui qui a su faire fructifier les circonstances de la Providence qui l’ont conduit à rompre ses liens tribaux pour l’élever à la connaissance d’une réalité supérieure et plus large, celle de Dieu qui est, en effet, « le plus grand », Allâhu Akbar. C’est à ce rappel qu’ont répondu de nombreux Français et Occidentaux, lesquels ont su reconnaître la Vérité de la Révélation coranique, et suivre les enseignements du Sceau de la Prophétie, Muhammad. Ces Occidentaux ont donc également accompli une authentique hijra, une transformation intérieure vers Dieu et Son prophète. Il conviendrait ainsi de sortir des distinctions tribales ou familiales, pour considérer l’unité et la complémentarité entre muhâjirûn et ansâr, entre immigrés et résidents, entre originaires et convertis, entre Arabes et Européens, entre Orient et Occident, afin de ne pas tomber dans l’erreur typique de la mentalité profane consistant à séparer et à uniformiser les parties de manière confuse. L’exemple éclairé du Prophète et de ses nobles compagnons nous aide à trouver la mesure d’un juste équilibre et d’une présence harmonieuse au sein de la société occidentale, et nous permet de témoigner d’une perspective intelligente et spirituelle de la religion. Il s’agit, ni plus ni moins, de redécouvrir la dimension primordiale ou naturelle de la religion, dîn al-fitra, et de la pratiquer avec simplicité, puisque, comme il est dit dans le Coran :

Allah veut pour vous la facilité, Il ne veut pas pour vous la difficulté.9

Nous sommes aujourd’hui le 5 de Muharram, le premier mois de l’année islamique, correspondant au 2 janvier 2009. Il est bon de signaler à nos frères et sœurs que mercredi prochain correspondra au jour de ‘Ashura, pour lequel un jeûne non-obligatoire est recommandé par le Prophète. Le jour qui précède (ou qui suit) peut aussi être jeûné pour accomplir l’intention que le Prophète avait eu, avant que Dieu ne le rappelle à Lui. Il a dit : Dieu pardonne les péchés d’une année passée à quiconque jeûne le jour de ‘Ashura.10 Le Prophète jeûna ce jour-là et recommanda de le jeûner en disant :  Si je suis encore vivant l’année prochaine, et si Dieu le veut, je jeûnerai aussi le 9e de Muharram. » De manière générale, selon la sunna, le mois de Muharram est, après Ramadan, le meilleur mois de jeûne.


  1. Cor. 36 : 9.
  2. Cor. 9 : 40.
  3. Cor. 28 : 85.
  4. Bukhari.
  5. Bukhari et Muslim.
  6. Cor. 51 : 50.
  7. Cor. 37 : 99.
  8. Bukhari et Muslim.
  9. Cor. 2 : 185.
  10. Muslim.

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