La naissance de Jésus fils de Marie
Imam Yahya Pallavicini
20-12-2024
Sermon donné à la Mosquée al-Wahid, Milan.
« Je suis le serviteur de Dieu, leur dit-il. Il m’a accordé les Écritures et a fait de moi un prophète et un être béni où que je me trouve, et Il m’a recommandé la prière et l’aumône tant que je serai en vie, ainsi que la piété filiale envers ma mère et Il n’a pas fait de moi un oppresseur scélérat. Et que la Paix soit sur moi le jour de ma naissance, le jour où je mourrai et le Jour où je serai ramené à la vie ! Tel est Jésus fils de Marie, parole de Vérité qui fait pourtant l’objet de leurs doutes. » Coran, sourate Marie XIX. 30-34
Ô croyants,
Bienvenue à cette khutba sur la naissance de ‘Isa ibn Maryam () telle qu’elle est décrite dans le Coran. Selon certains commentateurs, comme al-Razi et al-Qurtubi, il y a un signe spécial dans cette communication exprimée par le nouveau-né ‘Isa ibn Maryam qui est semblable à l’impossibilité du prophète Zakariyya () de pouvoir parler. Tous deux, pour un miracle de quelques instants ou jours, peuvent ou ne peuvent pas parler avant de retourner à leur état ordinaire.
Le nouveau-né ‘Isa a le don de la Parole pour défendre, par l’évidence de ce miracle, l’honneur de la mère Maryam () contre les calomnies et les soupçons. Selon al-Tabrisi, la prophétie de ‘Isa commence avec sa naissance et avec ce miracle de la Parole du nouveau-né, et cette grâce ne se retirera pas mais continuera toute sa vie durant.
Les exégètes musulmans soulignent la première qualité de serviteur que ‘Isa () introduit en se présentant. Selon eux, ce premier aspect de servitude dans sa présentation caractérise une différence doctrinale tant par rapport à ceux qui ont méconnu sa prophétie que par rapport à ceux qui lui attribuent une part de divinité.
Après la qualité du service béni, le don du Livre est la deuxième caractéristique de ‘Isa, une représentation et une participation directe à la Révélation d’Allah qui s’articulera dans tous les aspects de sa vie. Certains commentateurs considèrent que ‘Isa à peine né a reçu l’enseignement de la Torah par inspiration, devenant ainsi transmetteur de bienfaits spirituels aux adeptes de sa religion qui le reconnaissaient comme un maître dans la voie du Bien, un guide pour les égarés, un vengeur pour les opprimés, un donateur généreux pour les pauvres, un appel à la bonté, une muraille contre le péché.
La troisième caractéristique de ‘Isa est l’observance et l’enseignement de la prière et l’exercice de la charité. La prière et la charité constituent pour les musulmans et les gens du Livre des moyens de purification, d’élévation et de protection spirituelle par rapport aux conséquences de la désobéissance et des erreurs commises.
Vient ensuite la caractéristique de la piété filiale. Comme le prophète Yahya, Jean-le-Baptiste (), ‘Isa n’est ni arrogant ni désobéissant, ni violent ni colérique. ‘Isa a vécu avec une grande humilité en se nourrissant et en s’habillant de façon extrêmement simple, voyageant sur terre sans avoir un domicile fixe. Sa piété ne se limitait pas aux membres de sa famille mais elle touche aussi ses adeptes qui écoutent la Parole d’Allah et la mettent en pratique.
Enfin, ‘Isa ibn Maryam () invoque la présence de la Paix en trois stations : la naissance, la mort et la résurrection. Dans ces trois conditions, ‘Isa est protégé du démon, libéré de la peur de la mort, et il sera en sécurité le jour de la réunion ultime avec le reste de l’humanité.
Telle est la vérité sur l’identité de ‘Isa ibn Maryam. Cette Parole de Vérité, c’est également sa fonction, celle d’être la Révélation vivante d’Allah et de transmettre la Paix, depuis le moment de sa naissance et au-delà.
Abu Hurayra () transmet le propos suivant du prophète Muhammad () : « En ce monde et dans l’Autre, de toute l’humanité, je suis le plus proche de ‘Isa fils de Maryam. Tous les prophètes sont des frères issus de mères différentes mais ils appartiennent à une religion unique, et aucun prophète n’a été envoyé entre ‘Isa et moi. » Rapporté avec quelques variantes par l’imam al-Bukhari et l’imam Muslim ().
Chers frères et sœurs,
‘Isa ibn Maryam (), Jésus fils de Marie, est le nom et le « patronyme » qu’Allah attribue à Jésus dans le Coran. Les quatre versets précédents où il est présenté décrivent sa nature ainsi que sa fonction marquée par le fait qu’Allah appelle ‘Isa « Parole de Vérité », qawl al-Haqq : une Parole miraculeuse qui se manifeste intégralement dans sa personne. De son berceau, le nouveau-né répond aux doutes des sceptiques et aux insinuations des mécréants. Ceux qui doutent de sa Vérité doutent que c’est ‘Isa qui leur parle depuis son berceau, ils doutent du miracle dont ils sont eux-mêmes témoins, ils doutent de la Vérité qui s’exprime en réponse à leurs allusions et critiques hâtives à l’endroit de Maryam et de son honneur, ils doutent de la Miséricorde supérieure qui transparaît de façon dynamique, incisive et vibrante à travers le silence de la mère et l’innocence d’un être immobile au berceau, ils doutent d’eux-mêmes et de ce qu’ils voient, entendent et comprennent.[1]
En réalité, ‘Isa ibn Maryam () ne répond point en se plaçant au bas niveau des doutes des sceptiques, et il ne défend pas l’honneur de la mère directement contre les calomnies des mécréants ; le premier acte de manifestation de la prophétie de ‘Isa consiste à porter le témoignage d’une affinité intime et spirituelle avec la pureté et la virginité intégrale de sa mère Maryam ().
Maryam a su maintenir la concentration dans sa retraite loin de la superficialité de son peuple, et dans le dialogue profond avec l’esprit fidèle, elle a su réaliser le secret du Pacte dans son retrait vers l’Orient et dans son jeûne des paroles, elle a su trouver la force et le soulagement grâce au tronc et aux fruits du palmier, à l’eau et à la voix intérieure de la Vérité.
À travers cet enfantement, on peut reconnaître le prophète Muhammad (), purifié par les anges, contraint par l’esprit fidèle à se prononcer comme récitateur au cœur de sa retraite dans le culte sincère au Dieu Unique, migrant vers une oasis et une plantation de palmeraie ; il donne voix et fait entendre, comme ce nouveau-né, pendant vingt-trois ans, au cours de phases cycliques différentes, à la révélation du message d’Allah, et ce nonobstant les oppositions d’hypocrites, d’idolâtres et de polythéistes, adorateurs avec tant de faux doutes et de faux problèmes.[2]
‘Isa ibn Maryam () est également un signe (āya) pour les hommes, un acte de clémence d’Allah (raHma), un ordre du décret divin (amr maqDī) et un présage de l’Heure (‘ilm li-s-sā‘a). Depuis sa naissance, il continue à représenter un signe évident, une miséricorde constante, une règle orthodoxe d’obéissance et une mystérieuse imminence. Le prophète Muhammad () conclut le cycle de la prophétie, et il n’y a pas d’autre prophète avant lui si ce n'est ‘Isa, lui-même précédé d’une série d’envoyés et de messagers. La proximité entre ‘Isa et Muhammad () dans le service spirituel et dans le témoignage de la Paix s’accompagne de l’amour pour la Révélation comme Parole de Vérité. Si la façon de représenter et d’interpréter cette communication sacrée est différente selon l’art de la Providence, la religion est néanmoins unique, et il n’y a pas d’autre religion auprès d’Allah que l’observance de l’acceptation de Sa Volonté Suprême et Bénie.
Qu’Allah et Son prophète nous aident à honorer cette relation avec les Maîtres de la vie intérieure et dans le discipulat suivant la règle de la compagnie spirituelle et dans l’excellence de la fraternité.
[1]: « Allah met en garde contre l’action du doute, qui confond les certitudes et obscurcit l’évidence de Ses signes. Tel est le destin de ceux qui restent attachés à leur scepticisme malheureux et à la rébellion à l’encontre de la Vérité : au lieu de ne pas adhérer intégralement à la force du renouveau spirituel qui se manifestent à travers la découverte d’une conception plus élevée du Miséricordieux, ils préfèrent déformer la réalité en l’adaptant à leur propre niveau de compréhension antimétaphysique. Ce sont précisément les gens du doute qui s’opposent à la Parole de Vérité, provoquent les disputes et favorisent les factions discordantes. » (Y. Pallavicini, La Sura di Marie, 2010).
[2]: Abu Yazid al-Bistami () enseigne : « La contraction (qabD) du cœur (qalb) est l’expansion (basT) de l’âme (nafs), et l’expansion du cœur est la contraction de l’âme. » La nafs se sauve à travers la contraction et le cœur est sauf grâce à l’expansion. Il en va ainsi, parce que l’amour va de pair avec la jalousie. QabD est le résultat de la colère d’Allah tandis que basT est le fruit de la compréhension réciproque, en effet les amants se comprennent réciproquement. On raconte que le prophète Yahya () s’émouvait depuis sa naissance, tandis que ‘Isa () souriait depuis sa naissance. À travers cette condition, le premier exprime la contraction, le second l’expansion. Lorsqu’ils se rencontrèrent, Yahya dit à ‘Isa : « Aurais-tu été préservé de la crainte de la séparation ? » Et ‘Isa lui répondit : « Aurais-tu été privé de l’espoir dans le Miséricorde d’Allah ? La réalité est que tes larmes ou ma joie ne peuvent rien changer à l’ordre d’Allah. » Tous les états de contraction et d’expansion, qabD et basT, amour et haine, extase et sobriété, dérivent d’Allah le Très-Haut. Rapporté par le shaykh al-Hujwiri ().