Le principe de l’Unité et de l’Unicité de Dieu dans les traditions juive et islamique

Shaykh Abd-al-Wâhid Pallavicini

09-12-2012

Au nom de Dieu, le Tout-Miséricordieux, le Très-Miséricordieux

Cette phrase, qui est prononcée avant chaque action entreprise par un musulman, c’est-à-dire par celui qui, littéralement, est « soumis à la Volonté de Dieu », précède toutes les « sourates » (excepté la neuvième), ou chapitres du Saint Coran. Dans la langue arabe, langue sacrée tout comme l’hébreu, cette expression rituelle indique l’intention avec laquelle sont formulées les vérités qui se réfèrent à l’origine et au sens ultime de la Création, la Création du Dieu Unique du monothéisme abrahamique.

Nous avons ainsi introduit le concept de l’Unicité de Dieu, tel qu’il s’est exprimé dans l’Histoire. À travers la figure de notre patriarche commun Abraham, dont ne dérive pas seulement la descendance génétique issue de ses fils, Isaac et Ismaël, les Révélations qui sont issues de lui, ont donné naissance aux trois traditions religieuses, religieuses dans le sens qu’elles rattachent et se rattachent au même et unique Dieu : le judaïsme, le christianisme et l’islam.

Il devrait être superflu de préciser, bien que les fortes suggestions que nous connaissons à notre époque nous poussent à devoir le clarifier, qu’être monothéistes ne signifie pas croire que Dieu est « un », au sens numérique du terme, comme il est tout aussi erroné de considérer que d’autres traditions croient qu’il y a plus d’un principe absolu. Être monothéistes signifie avoir une vision unitaire de la Réalité, de l’Infini, de l’Absolu qui réunit en soi toute chose, en tant que possibilité limitée au sein de la Toute-Possibilité illimitée. Les visions autres que celle-ci se placent complètement en-dehors de la Tradition et de l’orthodoxie, et font partie de ces « signes des temps » qui ont réduit l’humanité à la multiplicité et à la fragmentation, en d’autres termes, à l’idolâtrie.

Dans le Monothéisme abrahamique, qui s’adresse aux hommes d’une époque déjà très proche des moments eschatologiques, Dieu réaffirme cette Vérité avec force ; les trois formes du Monothéisme abrahamique donnent, comme pour prévenir toute distraction de l’âme de l’essentiel, une place centrale au témoignage de l’Unicité de Dieu. Dieu Seul est la Réalité, et il n’y a rien en-dehors de Lui, comme le dit le témoignage de la foi islamique.

Comment donc peut-on parler « Au Nom de Dieu » s’il n’y a rien d’autre que Lui ?

C’est la raison pour laquelle les maîtres de l’islam, comme Al-Ghazali, ont souligné que le Nom Suprême de Dieu, Allah, contient en Lui-même le principe de l’orientation de toute la Création « vers Lui ». Le Nom Allah, al-ilah, « la Divinité », est composé des mêmes consonnes que ila Hu, qui signifie « vers Lui ».

Le Professeur Paolo De Benedetti, éminent spécialiste de la Bible, rencontré récemment dans la vieille synagogue de Casale Monferrato, nous disait que cette expression arabe ila Hu est également proche du nom divin hébraïque Elohim. Cette tension métaphysique, cet acte de tendre « vers Lui », est donc ce qui distingue l’homme de son Créateur, dont le nom est exprimé par le simple ajout de l’article déterminatif arabe al, l’hébreu el, autre nom de Dieu, à l’expression ila Hu, ce qui donne al-ilah, Allah, « le Dieu », c’est-à-dire « Celui vers Lequel le croyant se tourne ».

Si nous devions considérer métaphysiquement, c’est-à-dire conformément à la vision propre au tasawwuf (le soufisme), la coordonnée opposée à la dimension horizontale de l’« espace », nous devrions nécessairement la reconnaître dans la dimension verticale du « temps » ; et si nous considérons que l’antithèse à tout ce qui peut être regardé comme « sacré » est naturellement ce qui en est en-dehors — étymologiquement, pro-fanum, hors du temple —, pour trouver dans quels temples on peut reconnaître « des espaces sacrés partagés », nous pourrions encore, aujourd’hui, nous référer à ceux qui sont représentés par les trois Révélations du monothéisme abrahamique : le judaïsme, le christianisme et l’islam.

Là encore nous aurions à faire à une autre triade : des espaces sacrés partagés sur cette  terre, des figures communes dans la « prophétie » à travers laquelle se renouvelle cycliquement l’expression de la sharî‘ah ou Loi sacrée, et enfin des affirmations similaires dans la « théologie ». Toutefois, la rencontre entre les religions orthodoxes ne conduit certainement pas au syncrétisme, ni encore moins au relativisme, mais plutôt à la reconnaissance que la tradition qui imprègne nos religions est unique, et nous a été transmise par tous les prophètes depuis la création du monde et jusqu’à l’avènement messianique final auquel nous devrons savoir nous préparer.

Cela sera le vrai œcuménisme par en haut, le seul capable de tendre vers cette paix fondée sur une justice supérieure qui ne peut venir que de la reconnaissance mutuelle de la validité spirituelle et salvatrice de nos différentes religions, expressions de cette tradition abrahamique à laquelle nous participons tous.

Sur cette terre, il nous serait facile de trouver des exemples, comme la tombe d’Abraham à Hébron, où juifs et musulmans partagent leur dévotion à leur patriarche commun, ou la maison de Marie à Éphèse, où chrétiens et musulmans offrent chacun à leur tour leurs prières à cette figure que les juifs reconnaîtraient dans la shekinah ; ou encore la mosquée de Damas, où se trouve la relique de Yahyâ, Saint Jean-Baptiste, et que le Bienheureux Jean-Paul II a également visitée, dans la reconnaissance de cette anticipation de la venue messianique que nous attendons tous sous des formes variées…

Et naturellement, il y a Jérusalem, où la direction de l’oscillation rituelle des fidèles juifs face au Mur des lamentations s’harmonise avec celle des prosternations des fidèles musulmans dans la Qubbat al-Sakhra, le Dôme du Rocher, à partir duquel le Prophète Muhammad s’est élevé verticalement au ciel jusqu’à rejoindre, à la distance de « deux arcs », l’Objet de sa contemplation.

Cette vocation à une virilité spirituelle, qui se situe bien au-delà de la mentalité courante, dans la dimension verticale de cette croix spatio-temporelle propre à une humanité sujette à l’attente eschatologique, représente encore aujourd’hui l’adhésion au sacrum facere, le vrai sacrifice dans l’acceptation de la volonté de Dieu, termes qui, ensemble, constituent la véritable signification étymologique du mot islâm.

C’est précisément sur cette base que nous avons voulu, en tant qu’hôte du Pape lors de la rencontre d’Assise en 1986, aux côtés du Grand Rabbin Elio Toaff, situer dans la métaphysique le point de rencontre au sommet. Toutes nos confessions peuvent y converger, dans la reconnaissance réciproque de ce que le Dalaï Lama a appelé le « dialogue entre les orthodoxies », seule base solide pour la recherche, non seulement d’une « paix transcendante », mais surtout de la Vérité transcendante.

Cette Vérité transcendante est Dieu lui-même : Huwa-l-Haqq, comme nous le disons, nous musulmans, « Lui seul est la Vérité ». Lui seul nous a révélé, dans les messages transmis à des peuples différents, à diverses époques, des vérités qui ne sont pas partielles, mais qui sont nécessairement relatives à l’homme. Celui-ci, en acceptant le message qui lui est adressé et en pratiquant la religion qui en est la conséquence, peut remonter jusqu’à cette Vérité absolue qui n’est pas énonçable, mais qui demeure réalisable dans l’union avec Dieu.

Nous devons reconnaître qu’aujourd’hui nous nous sommes éloignés de la formulation originelle de cette Vérité absolue, éloignement avéré également en ce qui concerne la Révélation islamique manifestée dans nos temps ultimes. Nous pensons que cet éloignement ne peut être dépassé qu’avec la volonté de retourner finalement au Principe unique qui l’a formulée et qui en constitue la source primordiale (ad-dîn al-qayyim ou dîn al-qayyima), la matrice éternelle qui seule peut nous permettre d’en reconnaître la vérité relative.

Pour notre part, et j’entends ici pour notre part à nous les hommes, il s’agit alors de savoir se soumettre justement à cette Volonté absolue, synonyme de Vérité absolue, à travers les expressions théologiques relatives à nos religions et la pratique religieuse qui en découle, c’est-à-dire l’orthopraxie rituelle.

En ces temps très particuliers qui semblent « mettre en crise » les religions elles-mêmes, nous avons la responsabilité d’intervenir afin de transformer en bien cette « crise », qui nous affecte tous ; crise entendue dans son sens étymologique, c’est-à-dire « jugement », ce moment de vérité inhérent au dévoilement même de la nature réelle des choses.

En effet, pour nous hommes de foi, le mal réside seulement dans la tromperie qui veut nous faire regarder ailleurs et oublier Dieu. D’autre part, l’eschatologie qui nous est commune à tous ne sera pas, comme on le dit couramment, « la fin du monde », mais — selon les mots mêmes du Shaykh ‘Abd al-Wâhid Yahyâ, connu en Occident comme le grand métaphysicien français René Guénon, et dont j’ai l’honneur de porter le premier nom islamique —, mais sera seulement « la fin d’un monde ».

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