Le Monothéisme abrahamique contre le terrorisme
Shaykh Abd al-Wahid Pallavicini
18-09-2013
Les demandes de réciprocité, qui constituent la toile de fond de tout discours sur l’islam, tentent d’opposer et de revendiquer des thèmes et situations qui se situent sur des plans tout à fait différents, ce qui a pour conséquence de remettre en cause le principe même de la liberté de religion. Mais si certaines questions restent sans réponses, pour citer René Guénon, « c’est parce que les questions sont mal posées ». Aujourd’hui, nous ne voudrions pas que l’absence de réponses ou de solutions à des questions qui ne sont pas d’ordre religieux puisse également compromettre le dialogue et la connaissance réciproque entre les fidèles appartenant aux diverses communautés de croyants, en Occident comme en Orient. Ce ne sont certainement pas les trois Révélations du Dieu d’Abraham qui peuvent conduire au terrorisme, mais c’est leur instrumentalisation par ceux qui veulent en ignorer le message religieux et spirituel commun pour chercher à les mettre l’une contre l’autre, ou l’une au-dessus de l’autre, à des fins d’hégémonie politique ou de revendications ethnique, nationale ou territoriale.
Comment peut-on éduquer au dialogue avec l’islam les croyants des Traditions juive et chrétienne, si ce n’est par la reconnaissance de la troisième Révélation du monothéisme abrahamique ? Cette reconnaissance, qui va bien au-delà de la tolérance et du respect dont on demande la réciprocité, l’islam l’offre déjà, comme l’affirme, par exemple, le verset suivant du saint Coran :
Vous tous (juifs, chrétiens et musulmans) retournerez à Dieu et Il vous informera sur ce en quoi vous divergez.1
Les conceptions qui fomentent le terrorisme ont pour but de diviser notre communauté, par l’intermédiaire de ce diabolus qui est étymologiquement « celui qui divise », au lieu de se référer à la « réalité qui unit », représentée par le symbolum. Le terrorisme actuel semble revêtir les caractères de ce fanatisme religieux qui dérive de l’exclusivisme confessionnel. S’il est vrai que le but principal de la religion est le salut, nous voudrions demander la reconnaissance réciproque, non de la vérité théologique qui est relative à chaque doctrine religieuse, mais de la validité salvatrice de toute autre Révélation orthodoxe. Peut-être cela pourrait-il, en partie, invalider les fausses motivations avec lesquelles certains essaient de convertir, de gré ou de force, les fidèles qui appartiennent à d’autres religions, qu’elles soient antérieures ou postérieures à la leur. L’exclusivisme confessionnel ne reconnaît pas la possibilité du salut pour les fidèles des autres religions, et l’élimination de cet exclusivisme serait le premier pas vers une véritable action contre tous les terrorismes et vers une véritable liberté religieuse. Dans ce sens, une déclaration officielle de la seule institution présente dans les trois Révélations du monothéisme abrahamique serait plus que jamais souhaitable, particulièrement en ces temps ultimes qui précèdent les moments eschatologiques.
La volonté irréductible de certains Occidentaux de se référer, pour connaître l’islam, exclusivement à des représentants islamiques de pays lointains, ne semble produire aucun fruit, si ce n’est l’éloignement réciproque. On confond de la sorte la politique internationale avec la réalité d’une communauté religieuse qui compte plus d’un milliard de fidèles répartis dans tous les pays du monde, communauté qui vit quotidiennement, avec discrétion et en silence, le souvenir naturel de Dieu à travers l’exemple de Son Prophète Muhammad. Peut-être heurterons-nous quelques sensibilités en déclarant qu’il n’y a pas actuellement d’États islamiques, non seulement à cause de l’abolition du Califat, mais surtout parce que « islamique » devrait signifier « soumis à la volonté de Dieu », de même que nous ne pouvons dire qu’il y ait en Europe des pays encore vraiment « chrétiens ».
Si les nations européennes essaient de se réunir en une institution politique, ce n’est pas pour autant que pourra se réaliser l’utopie d’un « Parlement des Religions Unies », car c’est seulement en maintenant l’identité doctrinale et la pratique rituelle spécifique de chaque Révélation que l’on peut atteindre le salut. Il est encore moins souhaitable que l’on pense résoudre le problème du terrorisme par l’aplatissement de toutes les valeurs religieuses, en « jetant le bébé avec l’eau du bain », dans une sorte de prétendue « nouvelle civilisation » qui présenterait, au contraire, le caractère de ce que nous pourrions définir comme un véritable « intégrisme laïque ». Ne s’agit-il pas ici d’une nouvelle idéologie laïciste et syncrétiste d’origine humaine ou « trop humaine », dont la pratique ne se fonde plus sur la ritualité d’un « symbole agi » qui permet l’irruption du sacré dans le monde, mais où, au contraire, comme le soutiennent certains, « l’homme est fils de ses œuvres et se sauve grâce à son comportement éthique » ?
Les « prophètes » de la modernité proposent de nouveau, sous forme sociologique, les prédictions qui sont contenues dans les textes sacrés de toutes les religions, et qui sont relatives à la fin des temps, dont nous voyons les signes non seulement dans le monde où nous vivons, mais aussi au sein des religions elles-mêmes. Ces signes vont du bon sentiment soi-disant « chrétien » à l’intégrisme qualifié d’ « islamique », lesquels représentent les deux cornes de ce diable qui se prépare à envoyer son prophète, messager de malheur, à un monde qui a complètement perdu de vue le sens des proportions et la recherche de la Vérité.
Toutes les civilisations traditionnelles se sont toujours fondées sur une conception théocentrique, et toutes les cultures ont pour origine un culte religieux, dans le sens étymologique du terme, celui de relier l’homme et la création aux principes archétypaux qui président à leur destinée jusqu’à la fin des temps. Cela ne signifie certainement pas que tous les hommes doivent être religieux, ou qu’ils doivent tous appartenir à une même religion, conformément aux versets coraniques qui affirment : « Pas de contrainte en religion »,2 et « à vous votre religion et à moi la mienne »,3 ce qui implique le libre-arbitre donné par Dieu à l’homme, lequel peut même être laïque, agnostique ou athée.
En ces temps où l’on voudrait imposer une intégration inconsidérée, nous devons opposer le droit à être différents, le droit à pouvoir être vraiment religieux, dans un monde où la globalisation « démocratique » renonce à sa propre définition en empêchant la survie d’une « élite » minoritaire quelconque.
Il sera important, en effet, de pouvoir maintenir, comme cela a toujours été le cas dans l’histoire de l’humanité, la présence de ces hommes qui savent poursuivre la recherche de la vérité jusqu’à la fin, celle qui ne sera pas « la fin du monde », mais, comme quelqu’un l’a déjà dit, seulement « la fin d’un monde ». Ce sont ces hommes qui constitueront les « semences de l’Arche » et non les « semences du Verbe » comme nous, musulmans, sommes taxés de l’être, semences de l’Arche qui pourront nous faire passer d’un cycle de l’existence du monde à un autre, et quelques-uns d’entre eux pourront également réaliser la possibilité d’une Connaissance, source de Justice et de Paix véritables. Cette Paix est celle que le Christ nous a promise, à la différence de la paix que « donne le monde », et nous ne nous étonnons donc pas si l’on ne trouve pas à Jérusalem une véritable Paix ; Jérusalem, lieu où les événements liés à l’eschatologie devront se manifester dans la reconnaissance de la figure christique que, ensemble, juifs, chrétiens et musulmans, nous attendons.